Célèbre pour ses églises taillées dans le roc, la ville sainte a doublement souffert de la pandémie de Covid-19 et de l’occupation des rebelles tigréens.
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Les chambres du Panoramic Hotel restent désespérément vides. A la réception, la dizaine d’employés joue aux cartes, plongés dans l’obscurité à cause d’une panne d’électricité qui s’éternise. « En quatre mois, un peu moins d’une cinquantaine de personnes ont séjourné chez moi, et encore, je fais partie des chanceux », indique Tesfaye Getinet, le gérant de cet établissement de Lalibela, petite ville d’Ethiopie célèbre pour ses églises taillées dans le roc au XIIIe siècle. Autrefois, son hôtel accueillait presque vingt clients par jour.
Autrefois, c’est-à-dire avant la pandémie de Covid-19 et l’éclatement de la guerre civile qui, ensemble, ont mis un brusque coup d’arrêt au tourisme dans cette bourgade de la région Amhara, dans le nord du pays. En conflit avec le gouvernement d’Abiy Ahmed, les rebelles tigréens du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) ont contrôlé la zone d’août à décembre 2021.
Une occupation qui a ruiné les espoirs de reprise de cette ville surnommée la « Jérusalem de l’Afrique » ou encore la huitième merveille du monde et qui attirait, en temps de paix, plusieurs dizaines de milliers de visiteurs par an.
Dans cette cité sainte de l’orthodoxie éthiopienne, « au moins 80 % de la population dépend de l’argent du tourisme », estime Tesfaye Getinet. Aujourd’hui, les habitants vivent sur la corde raide. Le long de la petite rue pavée qui mène au Panoramic Hotel, Adugnaye remet de l’ordre dans son magasin de souvenirs et balaie les toiles d’araignées. « Vous avez de la chance, lance-t-elle, c’est la première fois que j’ouvre en deux ans ! »
« Environ un touriste étranger par jour »
A côté de son échoppe, les portails des autres auberges sont tous fermés. Non loin, la façade de l’hôtel de luxe Cliff Edge porte les stigmates d’une frappe de drone larguée par l’armée éthiopienne qui visait des officiers tigréens. Certains établissements ont aussi été saccagés par les combattants du TPLF.
Les deux cents guides que compte la ville avaient pour habitude de faire la chasse aux touristes autour de la place pavée qui mène aux églises rupestres. Ils ne sont aujourd’hui que deux sur le parvis, en train de tuer le temps. « Il n’y a pas grand-chose à dire, c’est la déprime, soupire Josef Abate, un guide historique. Beaucoup sont en dépression ici. On avait l’habitude de travailler quatre ou cinq jours par semaine. En deux ans, je n’ai eu qu’un seul client. » Son manque d’activité l’a même mis en délicatesse auprès de ses parents qu’il ne peut plus aider financièrement, confie-t-il.
Assis à côté, le père Assefa, l’un des 1 200 prêtres de Lalibela, végète lui aussi, enroulé dans son gabi traditionnel. Habituellement chargé de la vente des tickets pour visiter les églises, Assefa estime à une centaine le nombre de touristes étrangers depuis le début d’année : « Environ un par jour. »
Un chiffre impossible à vérifier car les statistiques officielles des deux dernières années n’existent plus. Les archives de la mairie ont été détruites par les insurgés tigréens. En 2019 cependant, 75 053 visiteurs s’étaient rendus sur ce site classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Des guides qui partent à Addis-Abeba
Autrefois jalousés, les guides de Lalibela songent désormais à quitter la profession. Certains partent vers la capitale Addis-Abeba pour tenter leur chance, d’autres deviennent chauffeurs de tuk-tuk. Endeyena Ayelew a, lui, jeté l’éponge en février. Il a ouvert un stand de rue et vend des panneaux solaires portables fabriqués en Chine, censés permettre aux habitants de pallier le manque d’électricité. Il n’y a plus de courant à Lalibela depuis un an et les rares propriétaires de générateurs font face à un défi majeur : l’essence achetée ici sur le marché noir coûte trois fois le prix national en raison des pénuries et des difficultés d’acheminement.
« Mais mon business ne marche pas, précise-t-il. Forcément, les gens n’ont pas d’argent, tout venait du tourisme, donc personne n’achète. » Endeyena a lui aussi perdu ses économies du fait des conséquences du Covid-19 ainsi que du racket des soldats du TPLF, sans compter l’inflation qui touche aujourd’hui l’Ethiopie de plein fouet. « Ça me laisse sans voix », murmure-t-il avant de retourner péniblement à ses affaires.
Pourtant, l’horizon se dégage un peu. Quelques touristes locaux se sont déplacés à Lalibela pour l’Epiphanie et la Pâques éthiopienne en janvier puis en avril. Dans sa carte de conseils aux voyageurs, le ministère français des affaires étrangères a récemment retiré la ville de la zone rouge fortement déconseillée. La France a même repris en avril son projet Sustainable Lalibela de restauration et de préservation des églises.
Une « trêve humanitaire »
« Notre avenir est entre les mains des leaders politiques, assure Tesfaye Getinet. S’ils signent un accord de paix, alors les touristes auront de nouveau confiance. » Depuis la terrasse de son hôtel, on aperçoit les montagnes du nord du pays. Le TPLF se trouve à une cinquantaine de kilomètres de la cité.
Actuellement, il n’y a ni guerre ouverte ni paix en Ethiopie. Le premier ministre Abiy Ahmed et le TPLF ont adhéré à une « trêve humanitaire » au mois de mars par communiqués interposés. Mais les deux camps ne semblent pas prêts à déposer les armes. Le 29 avril, le porte-parole du ministère des affaires étrangères accusait une nouvelle fois les rebelles tigréens de fomenter un énième assaut.
Si Lalibela espère un retour au calme, les autorités se préparent néanmoins à toutes les éventualités. Près de mille jeunes de la ville viennent d’achever un entraînement militaire prodigué pendant trois mois par les milices nationalistes amhara Fano et se sont vus distribuer des armes, dans l’hypothèse où les insurgés investiraient à nouveau la ville sainte.
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